Le Compte Professionnel de Prévention (C2P) constitue un dispositif essentiel de la politique française de prévention des risques professionnels. Face aux enjeux de santé au travail, ce mécanisme permet aux salariés exposés à des facteurs de pénibilité de cumuler des points convertibles en avantages concrets : formation, temps partiel sans perte de salaire, ou départ anticipé à la retraite. Pour les employeurs, le C2P représente une obligation légale qui s’inscrit dans une démarche globale de prévention des risques professionnels. La qualité de vie au travail et la prévention de l’usure professionnelle sont aujourd’hui au cœur des préoccupations tant des salariés que des entreprises.
Le C2P : origines et évolution du dispositif
Du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) au C2P
La notion de pénibilité au travail est entrée dans le droit français avec la loi du 9 novembre 2010 sur les retraites. Cette loi reconnaissait pour la première fois que certaines conditions de travail pouvaient avoir un impact durable et irréversible sur la santé des travailleurs. En 2015, le Compte Personnel de Prévention de la Pénibilité (C3P) a été instauré pour permettre aux salariés exposés à des facteurs de risques professionnels de cumuler des points.
Ce dispositif initial reposait sur l’identification de dix facteurs de risques professionnels. Il visait à compenser la pénibilité subie au travail par l’acquisition de droits permettant soit de se former pour accéder à des postes moins exposés, soit de réduire son temps de travail, soit de partir plus tôt à la retraite. Le C3P représentait une avancée significative en matière de reconnaissance des conditions de travail difficiles et de leurs conséquences sur la santé à long terme.
Les réformes significatives depuis 2017
L’ordonnance du 22 septembre 2017 a profondément modifié le dispositif, transformant le C3P en Compte Professionnel de Prévention (C2P). Cette réforme a notamment réduit le nombre de facteurs de risques pris en compte, passant de dix à six. Quatre facteurs sont sortis du dispositif : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l’exposition aux agents chimiques dangereux. Ces facteurs, bien que toujours reconnus comme potentiellement nocifs, ne permettent plus l’acquisition de points sur le C2P.
Plus récemment, la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale du 14 avril 2023 a introduit plusieurs améliorations significatives. Elle a notamment abaissé les seuils d’exposition au travail de nuit (de 120 à 100 nuits par an) et au travail en équipes successives alternantes (de 50 à 30 nuits par an). Cette réforme a également supprimé le plafonnement à 100 points du C2P et augmenté la valeur des points pour la formation et le temps partiel.
L’évolution du C2P témoigne d’une prise de conscience croissante des enjeux liés à la pénibilité au travail, même si les réformes successives ont parfois réduit le périmètre de protection pour certains salariés exposés à des risques professionnels.
Le cadre légal actuel et les obligations des employeurs
Le cadre juridique du C2P est défini par les articles L4161-1 et suivants du Code du travail. L’employeur a l’obligation d’évaluer l’exposition de ses salariés aux six facteurs de risques professionnels reconnus, en tenant compte des moyens de protection collective et individuelle mis en place. Si cette exposition dépasse les seuils réglementaires, l’employeur doit déclarer les facteurs concernés via la Déclaration Sociale Nominative (DSN).
Cette obligation concerne tous les employeurs, quelle que soit la taille de leur entreprise. Pour les entreprises d’au moins 50 salariés dépassant un certain seuil d’exposition ou d’accidentologie, la loi impose également de négocier un accord en faveur de la prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels. En l’absence d’accord, ces entreprises doivent élaborer un plan d’action unilatéral.
Le non-respect de ces obligations expose l’employeur à des sanctions financières pouvant atteindre 1% de la masse salariale. Au-delà de l’aspect réglementaire, la prévention de la pénibilité représente un enjeu majeur pour la santé des salariés et la performance des entreprises, notamment en réduisant l’absentéisme et en améliorant la qualité de vie au travail.

Les 6 facteurs de risques professionnels reconnus par le C2P
Travail de nuit et équipes successives alternantes
Le travail de nuit figure parmi les facteurs de risques les plus répandus dans de nombreux secteurs d’activité. Selon le Code du travail, il s’agit de toute activité exercée entre minuit et 5 heures du matin. Pour être pris en compte dans le cadre du C2P, le salarié doit effectuer au moins 100 nuits par an comportant au minimum une heure de travail dans cette plage horaire. Ce seuil a été abaissé en septembre 2023, passant de 120 à 100 nuits annuelles, rendant ainsi le dispositif accessible à davantage de travailleurs.
Le travail en équipes successives alternantes concerne principalement les organisations en 3×8, 4×8 ou 5×8. Pour être considéré comme facteur de pénibilité, ce mode d’organisation doit inclure au moins une heure de travail entre minuit et 5 heures, et cela pour au moins 30 nuits par an (contre 50 auparavant). Cette réduction significative du seuil témoigne d’une reconnaissance accrue des effets délétères de ce rythme de travail sur la santé des salariés, notamment en termes de troubles du sommeil et de risques cardiovasculaires.
Environnement physique agressif : bruit, températures extrêmes et milieu hyperbare
Le bruit constitue un facteur de risque majeur dans de nombreux environnements professionnels. Pour être pris en compte au titre du C2P, l’exposition doit atteindre un niveau d’au moins 81 décibels pendant une période de référence de 8 heures, et ce durant au moins 600 heures par an. Pour les bruits impulsionnels (brefs et répétés) d’au moins 135 décibels, le seuil est fixé à 120 expositions par an.
Les températures extrêmes représentent également un risque important pour la santé des travailleurs. Le C2P prend en compte les expositions aux températures inférieures ou égales à 5°C ou supérieures ou égales à 30°C pendant au moins 900 heures par an. Les activités exercées en milieu hyperbare (pression atmosphérique élevée) sont comptabilisées à partir de 1200 hectopascals pour un minimum de 60 interventions ou travaux par an.
Ces facteurs liés à l’environnement physique peuvent avoir des conséquences graves sur la santé, allant de la perte d’audition aux troubles musculo-squelettiques, en passant par les maladies cardiovasculaires. Leur évaluation précise est donc essentielle pour déterminer l’exposition réelle des salariés et mettre en place des mesures de prévention adaptées.
Travail répétitif et ses critères d’évaluation
Le travail répétitif est défini comme la répétition d’un même geste, à une cadence contrainte, imposée ou non par le déplacement automatique d’une pièce ou par la rémunération à la pièce, avec un temps de cycle défini. Pour être considéré comme facteur de pénibilité, il doit répondre à des critères précis d’intensité et de durée d’exposition.
Deux situations sont prises en compte par la réglementation. Premièrement, lorsque le temps de cycle est inférieur ou égal à 30 secondes, le salarié doit effectuer au moins 15 actions techniques ou plus pour que l’exposition soit reconnue. Deuxièmement, lorsque le temps de cycle est supérieur à 30 secondes, variable ou absent, le salarié doit réaliser au moins 30 actions techniques par minute. Dans les deux cas, la durée d’exposition minimale est fixée à 900 heures par an.
Ce facteur de risque, particulièrement présent dans l’industrie, la logistique ou la grande distribution, peut entraîner des troubles musculo-squelettiques (TMS) qui représentent aujourd’hui 87% des maladies professionnelles reconnues en France. L’évaluation précise de ce facteur nécessite souvent l’intervention d’experts en ergonomie pour analyser finement les gestes réalisés et leur fréquence.
Les seuils d’exposition déclenchant l’acquisition de points
Pour chaque facteur de risque, la réglementation définit des seuils d’intensité et de durée qui, lorsqu’ils sont dépassés, déclenchent l’acquisition de points sur le C2P. Ces seuils sont établis pour refléter un niveau d’exposition susceptible d’avoir des conséquences durables sur la santé des travailleurs.
Facteur de risque | Intensité minimale | Durée minimale d’exposition |
---|---|---|
Travail de nuit | 1h entre minuit et 5h | 100 nuits/an |
Travail en équipes successives alternantes | 1h entre minuit et 5h | 30 nuits/an |
Travail répétitif | 15 actions techniques (cycle ≤ 30s) ou 30 actions/min (cycle > 30s) | 900 heures/an |
Activités en milieu hyperbare | 1200 hectopascals | 60 interventions/an |
Températures extrêmes | ≤ 5°C ou ≥ 30°C | 900 heures/an |
Bruit | ≥ 81 dB(A) sur 8h ou ≥ 135 dB(C) pour les bruits impulsionnels | 600 heures/an ou 120 fois/an |
Il est important de noter que ces seuils sont évalués après prise en compte des mesures de protection collective (comme l’isolation phonique) et individuelle (comme les équipements de protection) mises en place par l’employeur. L’exposition doit être appréciée en moyenne sur l’année, dans les conditions habituelles de travail caractérisant le poste occupé par le salarié.
Fonctionnement du compte professionnel de prévention
Critères d’éligibilité au dispositif
Pour bénéficier du Compte Professionnel de Prévention, le salarié doit remplir plusieurs conditions cumulatives. Tout d’abord, il doit exercer son activité dans le secteur privé et être affilié au régime général de la Sécurité sociale ou à la Mutualité sociale agricole (MSA). Les fonctionnaires et les salariés relevant de régimes spéciaux de retraite (SNCF, RATP, industries électriques et gazières…) sont exclus du dispositif, ces derniers bénéficiant généralement de dispositifs spécifiques au sein de leur régime.
Ensuite, le salarié doit disposer d’un contrat de travail d’une durée minimale d’un mois. Cette condition s’applique quel que soit le type de contrat : CDI, CDD, intérim, apprentissage ou contrat de professionnalisation. Enfin, l’élément déterminant reste l’exposition à au moins un des six facteurs de risques professionnels reconnus, au-delà des seuils réglementaires établis.
À l’inverse de ce que l’on pourrait penser, il n’existe pas de liste de métiers pénibles prédéfinie. C’est bien l’exposition réelle aux facteurs de risque qui détermine l’éligibilité, et non la profession exercée. Ainsi, deux salariés occupant le même poste dans des entreprises différentes peuvent ne pas avoir les mêmes droits au titre du C2P, en fonction des conditions réelles d’exercice de leur activité et des mesures de prévention mises en place par leurs employeurs respectifs.
Calcul et cumul des points sur le C2P
Barème d’acquisition selon l’exposition aux risques
Depuis la réforme du 1er septembre 2023, le barème d’acquisition des points a été significativement amélioré pour mieux prendre en compte la multiplicité des expositions. Désormais, chaque salarié exposé à un facteur de risque au-delà des seuils réglementaires acquiert 4 points par an pour chaque facteur concerné. Si le salarié est exposé à plusieurs facteurs, le nombre de points acquis n’est plus plafonné à 8 comme c’était le cas auparavant, mais égal à 4 multiplié par le nombre de facteurs.
Pour les salariés dont le contrat prend fin en cours d’année civile, l’acquisition des points est calculée par trimestre d’exposition. Chaque trimestre d’exposition à un facteur de risque donne droit à 1 point. Là encore, en cas d’exposition à plusieurs facteurs, le nombre de points n’est plus plafonné mais égal au nombre de facteurs multiplié par le nombre de trimestres d’exposition.
Cette évolution du barème représente une avancée significative pour les travailleurs exposés simultanément à plusieurs facteurs de pénibilité. Par exemple, un salarié exposé à trois facteurs de risques pendant une année complète acquiert désormais 12 points
Majoration des points pour les travailleurs nés avant 1956
Pour les salariés nés avant le 1er juillet 1956, un système de majoration spécifique a été mis en place afin de tenir compte de leur exposition passée aux facteurs de pénibilité. Ces travailleurs bénéficient d’une multiplication par deux du nombre de points acquis chaque année. Ainsi, un salarié de cette génération exposé à un facteur de risque acquiert 8 points par an au lieu de 4.
Déclaration des expositions par l’employeur via la DSN
La déclaration des expositions aux facteurs de risques professionnels s’effectue via la Déclaration Sociale Nominative (DSN). L’employeur doit renseigner pour chaque salarié concerné les facteurs de risques auxquels il a été exposé au-delà des seuils réglementaires au cours de l’année civile. Cette déclaration doit être effectuée au plus tard le 5 ou le 15 janvier de l’année suivante, selon l’effectif de l’entreprise.
Procédure de contestation pour les salariés
En cas de désaccord sur l’évaluation de leur exposition, les salariés disposent d’un délai de deux ans à compter de la fin de l’année d’exposition pour contester la déclaration de leur employeur. La contestation doit d’abord être adressée à l’employeur, qui dispose de deux mois pour répondre. En l’absence de réponse ou en cas de réponse négative, le salarié peut saisir la caisse de retraite (CARSAT) dans un délai de deux mois.
Utilisation des points du compte professionnel de prévention
Formation professionnelle et abondement du CPF
Conversion des points en euros pour la formation
Chaque point du C2P peut être converti en 375 euros pour financer une formation professionnelle via le Compte Personnel de Formation (CPF). Cette conversion permet aux salariés d’acquérir de nouvelles compétences pour évoluer vers des postes moins exposés aux facteurs de pénibilité. Par exemple, un salarié disposant de 20 points peut ainsi bénéficier d’un abondement de 7 500 euros sur son CPF.
Les 20 premiers points obligatoirement dédiés à la formation
La réglementation impose que les 20 premiers points acquis sur le C2P soient obligatoirement utilisés pour financer des actions de formation professionnelle. Cette obligation vise à favoriser la reconversion professionnelle et la prévention de l’usure professionnelle avant d’envisager d’autres utilisations des points comme le temps partiel ou la retraite anticipée.
Réduction du temps de travail sans perte de salaire
Les points du C2P peuvent être utilisés pour financer une réduction du temps de travail sans diminution de salaire. 10 points permettent de financer un passage à temps partiel pendant un trimestre. Cette option peut être particulièrement intéressante pour les salariés souhaitant travailler 4 jours dans la semaine tout en maintenant leur niveau de rémunération.
Départ anticipé à la retraite et majoration de trimestres
Les points peuvent également servir à financer un départ anticipé à la retraite. 10 points permettent d’acquérir un trimestre de majoration de durée d’assurance vieillesse, dans la limite de 8 trimestres. Cette utilisation est particulièrement pertinente pour les salariés ayant été exposés durablement à des facteurs de pénibilité et souhaitant anticiper leur départ à la retraite.
Financement de projets de reconversion professionnelle
Au-delà de la simple formation, les points du C2P peuvent s’intégrer dans un projet global de reconversion professionnelle. Ils peuvent être combinés avec d’autres dispositifs comme le projet de transition professionnelle ou la validation des acquis de l’expérience (VAE) pour construire un parcours cohérent de réorientation vers des métiers moins exposés aux facteurs de pénibilité.
Prévention et traçabilité des expositions professionnelles
Le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP)
Le DUERP constitue un outil central dans la démarche de prévention des risques professionnels. Il doit répertorier l’ensemble des risques identifiés dans l’entreprise, y compris les facteurs de pénibilité du C2P. Sa mise à jour régulière permet d’assurer un suivi des expositions et d’adapter les mesures de prévention en conséquence.
Liste de traçabilité des expositions aux agents chimiques dangereux
Bien que les agents chimiques dangereux ne soient plus inclus dans le C2P, les employeurs doivent maintenir une liste de traçabilité des expositions pour ces risques spécifiques. Cette obligation s’inscrit dans une démarche plus large de prévention et de suivi médical des salariés exposés.
Le fonds pour la prévention de l’usure professionnelle
Subventions pour les entreprises engagées dans la prévention
Le Fonds pour la prévention de l’usure professionnelle propose des aides financières aux entreprises qui s’engagent dans des démarches de prévention. Ces subventions peuvent couvrir jusqu’à 50% des investissements réalisés pour améliorer les conditions de travail et réduire l’exposition aux facteurs de pénibilité.
Dispositifs de reconversion et d’aménagement des postes
Le Fonds finance également des dispositifs d’accompagnement pour la reconversion professionnelle et l’aménagement des postes de travail. Ces actions visent à prévenir l’usure professionnelle en adaptant les conditions de travail ou en facilitant la transition vers des postes moins exposés aux facteurs de risque.
Le rôle des branches professionnelles dans la cartographie des expositions
Les branches professionnelles jouent un rôle essentiel dans l’identification et la cartographie des expositions aux facteurs de pénibilité. Elles élaborent des référentiels permettant aux entreprises d’évaluer plus facilement les expositions de leurs salariés et développent des outils méthodologiques adaptés aux spécificités de leur secteur d’activité.